L’affaire Betharram et l’indispensable réflexion sur l’écoute de l’enfant
Il m’est difficile d’écrire cet article, mais il me semble nécessaire. L’affaire Betharram a récemment secoué l’opinion publique. Des enfants maltraités, des violences tues, des adultes défaillants. Une fois encore, ce sont des voix d’enfants que l’on n’a pas su (ou voulu) entendre. Comme un écho trop familier.
Chaque fois que je lis ce genre de témoignages ou de révélations, c’est comme une claque. Une piqûre de rappel que tout ce que j’ai vécu, ce que d’autres ont subi, est encore bien trop fréquent. Et qu’on ne fait toujours pas assez pour entendre — vraiment entendre — la parole des enfants.
Je fais partie de celles et ceux qui portent en silence les traces de violences sexuelles subies dans l’enfance. Ce silence, je l’ai longtemps gardé, par honte, par peur, par conditionnement. Cette actualité me renvoie à mes propres silences, à ceux que j’ai portés des années durant. Mais elle m’interpelle aussi comme mère : comment aider mon fils à trouver les mots là où moi, je n’en avais pas? Comment créer un espace où sa parole serait accueillie, crue, respectée?

L'écho d'un passé douloureux: des blessures qui ne s'effacent jamais tout à fait
J’avais l’âge de Loustic aujourd’hui quand tout s’est figé. Des violences physiques et sexuelles, longtemps tues, longtemps enfermées dans un recoin de ma mémoire. Des années de dissociation, une adolescence dépressive, une reconstruction lente et difficile.
Ce silence m’a pesé autant que les faits. Il fallait sauver les apparences. Ne pas dire. Ne pas gêner. Ne pas faire honte. Entendre des critiques sur d’autres victimes tout en sachant, sans pouvoir dire, que moi aussi j’en faisais partie.
La vérité a fini par éclater, mais les non-dits ont persisté. Jamais je ne fus définie comme une victime. Juste comme l’adolescente fragile. Celle qu’on évitait de trop regarder.
L’enfant, un être en devenir ou un être à part entière?
Les institutions restent parfois aveugles. Trop de silences, trop de victimes ignorées. L’enfant est encore souvent considéré comme un être en devenir, et non comme une personne à part entière, digne d'être écoutée, crue, accompagnée.
La honte, le poids des familles, la peur du qu’en-dira-t-on, tout cela continue de faire taire. Alors que nous devrions briser les tabous pour éduquer, prévenir, accompagner.
Les enfants perçoivent le monde avec une acuité bouleversante. Ils sentent, ils observent, ils comprennent. Ils peuvent être témoins ou victimes bien avant de pouvoir mettre des mots sur ce qu’ils vivent. Refuser d’écouter cette parole sous prétexte qu’elle viendrait d’un "petit" être, c’est nier sa souffrance, sa dignité, son humanité.
L’enfant n’est pas un futur adulte : il est un être humain ici et maintenant. Sa parole mérite notre pleine attention, notre respect, notre protection.
La transmission: faut-il parler de son passé à son enfant?
Depuis que mon fils a atteint l’âge que j’avais quand tout a basculé pour moi, cette question me hante : dois-je lui parler de mon passé? Est-ce une forme de libération ou un fardeau transmis malgré moi?
Je n’ai pas encore toutes les réponses. Ce que je sais, c’est que les séquelles de l’enfance s’invitent parfois sans prévenir. Un mot, un geste, une situation et tout remonte. Il m’est arrivé de m’effondrer pour une remarque apparemment anodine. Parce que derrière, il y avait une blessure mal refermée.
Ce n’est pas simple. Je me surprends parfois à éviter certaines conversations, à me taire pour ne pas troubler sa légèreté. Mais je sais que les silences pèsent parfois bien plus que les mots.
En parler, pour moi, ce n’est pas tant dévoiler les détails que transmettre un message : il est possible de survivre, de se reconstruire, de parler. Dire à mon fils que, quoi qu’il vive, il aura toujours le droit d’être entendu. C’est lui donner une boussole : celle du respect, du droit au refus, de la confiance possible.
Écouter vraiment: un défi parental dans une société souvent sourde
Être parent, c’est souvent marcher sur un fil: entre l’envie de protéger et la peur de mal faire. Je m’interroge sans cesse : saurai-je écouter Loustic s’il avait un jour besoin de se confier? Mon propre passé peut-il me rendre aveugle à ses signaux?
La vérité, c’est que l’écoute véritable demande une vigilance constante. Elle impose de ne pas projeter ses blessures, de ne pas minimiser non plus. Elle réclame de désapprendre certains réflexes sociaux — ceux qui nous font croire qu’un enfant exagère, qu’il dramatise, qu’il invente.
Nos institutions, nos familles, nos écoles doivent mieux former à cette écoute. Car trop de drames auraient pu être évités si, un jour, un adulte avait simplement dit : "Je te crois."
Quelle posture adopter? Entre vigilance, confiance et accompagnement
Il est facile de basculer dans la peur permanente quand on connaît la violence. Mais vivre dans la suspicion n’est pas sain non plus. La clé, je crois, réside dans une posture d’équilibre : une présence rassurante, une écoute ouverte, un accompagnement sans jugement.
Créer un environnement familial où l’enfant sait qu’il peut parler, qu’il ne sera pas moqué, ni puni, ni accusé. Lui offrir des repères solides, une parole éducative claire, et surtout, une confiance sincère.
Cela demande aussi de déconstruire les normes qui banalisent certaines violences (verbales, physiques, éducatives), et d’accepter que, parfois, nos propres limites d’adultes doivent être remises en question.
Quelques ressources pour mieux accompagner mon enfant
Pour m’aider à mieux comprendre, à mieux parler, à mieux accompagner, j’ai trouvé de précieuses ressources que je partage ici. Elles ne donnent pas de recette miracle, mais elles ouvrent des pistes, soulagent, renforcent.
Livres :

Je ne suis pas un super héros – Julien Josset, Gilles Rapaport: un album bouleversant pour déconstruire les stéréotypes de genre et parler de vulnérabilité.
Mon petit loup: Le livre-disque de la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants.

Te laisse pas faire! – Jocelyne Robert: un guide intelligent et accessible pour apprendre à dire non, à se respecter, à se défendre.
Le grand livre contre toutes les violences – Anne-Marie Thomazeau, Alain Serres: une belle ressource pour sensibiliser les enfants à toutes les formes de violence.
Podcasts :
France Inter - sous le soleil de Platon
Joanna Smith, comment on protège les enfants? Un épisode essentiel pour outiller les parents dans leur rôle protecteur.
Salut l'info
Le podcast qui raconte l'actualité aux 7-11ans. Dans cet épisode un spécialiste répond aux questions des enfants de salut l'info! à propos des violences sexuelles.
Protéger son enfant des violences sexuelles
Le podcast de Joanna Smith
France Inter - Carnets de campagne
Dans cet épisode: L'artiste Mai Lan Chapiron sensibilise les enfants aux violences sexuelles en chantant dans les écoles
France Culture - LSD, la série documentaire
LSD s'interroge sur la place des enfants dans la société. Entendre l’ampleur des violences subies et le peu d’espace accordé à leur parole.
Ouvrir les yeux, ouvrir le dialogue
Ma reconstruction est le fruit d’un long chemin, et même si les séquelles restent, j’ai appris à ne plus laisser le silence décider. Aujourd’hui, je veux être cette oreille ouverte, cette mère prête à entendre sans juger.
Mais plus largement, je m’interroge:
On parle aujourd’hui d’éducation bienveillante, d’écoute active, de prévention. Mais sommes-nous vraiment prêts à entendre la parole de l’enfant? Sommes-nous prêts à lui accorder le même poids qu’à celle d’un adulte? Ou continue-t-on à penser que l’enfant exagère, invente, déforme?
Et vous, quelle place laissez-vous à la parole de l’enfant dans votre vie, dans vos choix, dans votre regard sur le monde ?
La parole est à vous.
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